En mai 1978, la voiture volée puis abandonnée d'une
femme de gendarme est retrouvée dans la forêt de Chantilly avec un
plan pour le braquage de la poste de Pierrefonds. Des indices qui se
révèleront sciemment laissés par le criminel mettront les forces de
l'ordre sur la piste du grand banditisme. Cette trouvaille est
rapidement reliée avec l'agression d'une jeune femme de 17 ans à Pont-Sainte-Maxence,
puis une voiture piégée qui blessera un gendarme à Creil.
Le tueur nargue les militaires en leur envoyant des
lettres manuscrites revendiquant les faits. Pire, il semble montrer une
progression dans la gravité de ses actes : deux nouvelles agressions de
femmes (une blessée grièvement et une paralysée) et le braquage de la
poste de Senarpont. Au total, il sera relié avec certitude à un meurtre
et cinq tentatives.
L'homme laisse des indices et des empreintes. On
établit des portraits robots mais il arrive à échapper aux forces de
l'ordre. Déjà des doutes sur la proximité entre les forces de l'ordre et
le tueur sont soulevés, mais rapidement rejetés car la hiérarchie ne
peut même pas envisager cela.
Le 8 avril 1979, suite aux soupçons d'un de ses
anciens chefs (style d'écriture et portrait robot) et avec les éléments
qu'il rassemble ensuite (il constate que Lamare était systématiquement
en repos ou en congé, hors de la brigade, les jours des meurtres ou des
vols de voitures), le gendarme Alain Lamare est arrêté.
Lamare servait dans une brigade du PSIG (Peloton de
surveillance et d'intervention) de Chantilly et participait même aux
enquêtes (il qualifiait par ailleurs le meurtrier de « salaud de tueur »).
On se rendra compte après que c'était presque toujours lui le premier
arrivé sur les lieux. Il est confondu par ses empreintes et finit par
avouer. La fouille de son appartement confirme les faits.
Pour la gendarmerie, cette arrestation est un séisme :
l'hypothèse de la culpabilité d'un gendarme avait en effet été évoquée
dès le début des meurtres (un style de rédaction caractéristique à la
Gendarmerie) mais écartée sans vérification parce qu'impensable pour la
hiérarchie. Un général de gendarmerie, la nuit de son arrestation, lui
fait signer une lettre de démission pour sauver l'honneur de
l'institution.
L'affaire du tueur de l'Oise qui occupait déjà les
médias, connaît alors un fort retentissement médiatique. Foule et
journalistes se pressent le lendemain matin, lors de la perquisition de
l'appartement de Lamare en présence de ce dernier. Un accident de la
route se produira d'ailleurs dans le cortège des voitures de presse
essayant de suivre les voitures de gendarmerie, entraînant la mort d'un
adolescent.
Après une bataille d'experts psychiatriques, Alain
Lamare est déclaré irresponsable de ses actes, atteint d'une maladie
mentale rare : l'héboïdophrénie (une forme de schizophrénie). Il ne sera
jamais jugé et une ordonnance de non-lieu est rendue en 1983. En 2009,
il était toujours interné à l'hôpital psychiatrique de Sarreguemines et
il était toujours gendarme, sa démission ayant été rendue caduque du
fait de sa maladie qui le déclare irresponsable au moment de celle-ci.
Le thème du « criminel impensable »
avait déjà été évoqué en 1970 au cinéma dans Enquête sur un citoyen
au-dessus de tout soupçon, un film de l'Italien Elio Petri avec Gian
Maria Volonte dans le rôle principal. Cinq ans avant, Costa-Gavras
adaptait à l'écran le roman Compartiment tueurs qui évoquait le
rôle d'un enquêteur criminel enquêtant sur ses propres crimes.
Etrange véhicule
abandonné
En mai 1978, des gendarmes du PSIG
(Peloton de surveillance et d'intervention) font une patrouille de nuit
dans la forêt de Chantilly. Sur un chemin de terre, au lieu-dit du
carrefour des ripailles, ils découvrent une Peugeot 504 abandonnée.
Plusieurs vitres sont cassées, apparemment par des coups de feu. Croyant
à une affaire de banditisme, les gendarmes alertent l'antenne de PJ de
Creil qui est habituellement chargée de ce type de dossier dans l'Oise.
Arrivés sur les lieux, les
policiers font les premières constatations et découvrent de nombreux
indices: une cordelette qui semble avoir servi à attacher quelqu'un sur
un siège, des mégots de gitane blanche, une seringue hypodermique, des
papiers de bonbon et de chewing-gum, des douilles et sur le siège
passager un mouchoir taché de sang. Dernier élément troublant, les
enquêteurs trouvent à quelques mètres du véhicule un plan griffonné à la
main semblant indiquer les préparatifs d’un hold-up à la poste de la
ville voisine de Pierrefond.
L’identification du véhicule montre
qu’il a été volé quelques jours auparavant à la femme d’un gendarme qui
avait laissé les clés sur le contact.
Agression de Karine
Deux mois plus tard, un autre
évènement se produit à priori sans aucun rapport avec l’affaire de la
504. A Pont Sainte Maxence dans l’Oise, Karine, une jeune fille de 17
ans est agressée à la sortie d’un cinéma. Alors qu’elle rentre chez
elle, un homme au volant d’une Renault 12 grenat s’approche et tire sur
elle à trois reprises. Légèrement touchée au mollet, elle a juste le
temps d’identifier le véhicule de son agresseur. C’est une voiture volée
les clés sur le contact.
A l’époque aucun rapprochement
n’est établi entre les deux affaires.
Véhicule piégé
Dix jours après l’agression de
Karine, un gardien de la paix remarque dans une rue tranquille de Creil
une voiture mal garée. Il ouvre la portière et immédiatement une
détonation retentit, suivie de l’incendie de la voiture. Le policier est
brûlé aux mains et au visage mais s’en sort plutôt bien compte tenue de
la violence de l’explosion. Le véhicule, une Renault 12 grenat, était
piégé.
Les policiers découvrent qu’il a
été volé un mois et demi plus tôt à Martial Doucet, un agriculteur de
l’Aisne, qui avait laissé les clés sur le contact. Face à ces
similitudes le lien est fait entre ces trois affaires.
Lettre anonyme
Très vite les soupçons des
policiers vont se confirmer lorsqu’ils reçoivent au commissariat de
Creil une lettre revendiquant le piégeage de la Renault 12 et
l’agression de Karine. Les preuves accompagnant ce courrier (notamment
la carte grise de la Renault) ne laissent planer aucun doute : Il s’agit
bien de l’auteur des faits.
Plus inquiétant, l’auteur de la
lettre dit qu’il va recommencer. Pour ajouter au mystère il écrit la
phrase suivante: « Karine me connaît mais elle ne pourra jamais faire
le rapprochement ». Par ailleurs, bien que la lettre n’évoque pas
l’affaire de la 504, le lien est établi par comparaison des empreintes
digitales relevées sur les deux véhicules.
A la lecture de ce courrier, Daniel
Neveu, inspecteur principal au commissariat de Creil, est frappé par un
détail : Le style d’écriture ressemble énormément au langage employé
dans un rapport de police ou de gendarmerie.
Parallèlement, l’itinéraire de
l’agresseur est reconstitué grâce aux chèques volés à Martial Doucet ;
en tout une vingtaine. L’audition des commerçants ayant croisé sa route
permet d’établir un portrait robot mais inexploitable car imprécis. En
outre les résultats de l’expertise balistique tombent. L’arme de
l’agresseur est un Beretta 9 mm court, une arme plutôt rare et appréciée
des collectionneurs et des militaires.
Par acquis de conscience, le
commissaire de Creil fait une enquête au sein de ses hommes mais aucun
emploi du temps ne correspond aux trois affaires.
Nouvelle agression et nouvelle
voiture piégée
Malgré les menaces perpétrées dans
la lettre rien ne se passe pendant trois mois. Mais le 16 novembre 1978
les gendarmes de Clermont sur Oise sont appelés pour un étrange accident
à Fitz-James. Une jeune femme de vingt ans a été renversée par un
automobiliste alors qu’elle circulait à vélo.
Le conducteur prend la
fuite mais des passants ont le temps de noter le numéro
d’immatriculation. Elle correspond à une Peugeot 504 volée sur le
parking de la gare de Beauvais, les clés sur le contact.
Deux jours plus tard, la voiture
est retrouvée devant la gare d’Orry la Ville par une patrouille de
gendarmes. Yonnel Carpentier, jeune gendarme auxiliaire s’approche de la
504 et ouvre la porte passager. Immédiatement la voiture s’embrase,
blessant légèrement le gendarme. C’est la seconde affaire de voiture
piégée en trois mois.
Bien que l’enquête soit
officiellement confiée à la PJ, le capitaine Pineau, de la gendarmerie
de Clermont mène sa petite enquête. Il rassemble les photos des
délinquants sexuels de la région ; en tout 28.
Braquage à la poste
C’est alors qu’il apprend qu’un
braquage vient d’être commis à la poste de Sénarpont. Le voleur s’est
enfui à bord d’une Citroën GS volée clés au contact. Il décide alors de
présenter ses photos à la postière qui s’arrête à la photo N°6 et lui
dit qu’il ressemble à cet homme mais en plus jeune et avec les oreilles
décollées. La jeune cycliste renversée à qui l’on présente les 28 photos
fait exactement la même déclaration.
De leur côté les policiers
poursuivent leurs investigations. Ils découvrent que les empreintes
digitales relevées à la poste de Sénarpont sont identiques à celles de
la 504 du carrefour des ripailles : Ils ont affaire au même homme.
Premier meurtre
Le 1er décembre 1978, un nouvel
évènement dramatique se produit en bordure de l’hippodrome de Chantilly.
Des passants découvrent une jeune femme de 19 ans blessée par balle au
bord de la route. Elle raconte avant de décéder des suites de ses
blessures, qu’elle a été agressée par un homme d’une trentaine d’années
qui l’avait prise en stop à Pont Sainte Maxence.
L’expertise montre qu’elle a été
tuée par la même arme : un Beretta 9 mm court. De plus un témoin affirme
l’avoir vue monter dans une GS bleue, celle-là même ayant servi au hold-up
de Sénarpont.
Deux jours plus tard la GS est
retrouvée sur le parking de la gare d’Orry la Ville avec le même
dispositif de piégeage, heureusement déjoué à temps.
Le 12 décembre 1978, face à
l’ampleur que prend cette affaire, les quatre compagnies de gendarmerie
de l’Oise sont réunies afin d’être mises au courant de tous les éléments
récoltés. Et en lisant la lettre anonyme, le capitaine Pineau fait, sans
le savoir, la même constatation que l’inspecteur Neveu. Certaines
expressions sont typiquement issues du vocabulaire « gendarme ».
Cependant, malgré ces similitudes,
le supérieur du capitaine Pineau ne veut rien entendre et refuse
d’enquêter chez les siens.
Agression d’une autre jeune fille
Le 29 décembre 1978, le tueur
frappe à nouveau. Il prend en stop Andrée, une jeune fille de 19 ans à
la sortie de Compiègne au volant d’un Peugeot 504 verte. Arrivés sur une
petite route peu fréquentée, il change d’attitude et lui tire dessus à
trois reprise avec son arme. Blessée, elle parvient tout de même à
sauter du véhicule et tombe lourdement sur la route. Toujours consciente
elle raconte sa mésaventure à des témoins de la scène. A la suite de
cette agression elle restera malheureusement paralysée.
Chasse à l’homme
Immédiatement les gendarmes
dressent des barrages autour de la zone. Deux heures après l’agression,
une Peugeot 504 verte se présente sur l’un des barrages situé sur un
pont. Le chauffeur ne ralentit pas et parvient à prendre la fuite.
Pourchassé, il doit son salut au passage d’un train à un passage à
niveau.
Peu après avoir perdu sa trace, les
gendarmes trouvent la 54 embourbée dans une zone marécageuse. Une battue
est organisée avec des moyens humains et aériens considérables. Mais il
leur glisse encore entre les doigts.
Début 1979, une psychose commence à
s’installer dans l’Oise. La population, déjà choquée par la récente
affaire Marcel Barbeault, voit ses craintes attisées par la presse qui
n’hésite plus à suspecter publiquement les forces de l’ordre.
Quelques jours plus tard, Andrée,
sortie du coma, donne une description précise de son agresseur et un
portrait robot est publié dans la presse. C’est à ce moment-là que les
policiers reçoivent une seconde lettre anonyme.
Dans ce courrier il revendique tous
les méfaits pour lesquels il est suspecté et lance volontairement les
policiers vers de fausses pistes. En outre il menace de recommencer à
nouveau. En janvier et février il ne commet aucun crime mais continue de
voler des voitures (cinq en tout). Les enquêteurs traquent toujours sa
piste en suivant le parcours des chèques qu’il a volé. Il semble vouloir
brouiller les pistes en se déplaçant beaucoup.
Le 17 mars 1979, il vole la
luxueuse voiture d’un ancien ministre mais tombe en panne sur
l’autoroute. A l’arrivée des CRS venus à sa rencontre il a l’audace de
se présenter comme étant le fils du ministre et une fois au garage du
dépanneur il s’évapore dans la nature au volant d’une GS marron.
Cette fois des membres des forces
de l’ordre l’ont vu de près ce qui permet d’établir un troisième
portrait robot beaucoup plus précis qui est publié le 3 avril 1979.
Le maniaque identifié
A la brigade de gendarmerie de
Clermont, le maréchal des logis chef Claude Morel croit reconnaître sur
ce portrait robot un de ses anciens gendarmes : Alain Lamare, 23 ans.
Mais il semble le seul à partager cette idée au sein de la brigade.
Seule sa femme partage son point de
vue. Il décide alors de chercher des preuves en comparant l’écriture de
la lettre anonyme à celle des PV archivés de Lamare. Et il observe des
similitudes troublantes.
Le 7 avril 1979 il décide
finalement d’en parler au capitaine Pineau qui ne connaît pas Lamare car
il est arrivé à Clermont après sa mutation au PSIG de Chantilly. Morel
lui parle également de sa passion pour les armes. Intrigué Pineau
prévient Henri Cavalier, le supérieur hiérarchique du suspect à
Chantilly.
En vérifiant l’emploi du temps du
gendarme ils constatent qu’à chaque évènement il était hors service.
Cavalier tombe des nues mais en rassemblant ses souvenirs il se rend
compte que c’est le gendarme le plus impliqué dans cette affaire. C’est
même lui qui a découvert la plupart des voitures volées.
Ils n’ont donc plus aucun doute ;
le coupable c’est Lamare. Il leur reste maintenant à le neutraliser.
A cet instant il se trouve en
patrouille lourdement armé et semble contrarié comme s’il se doutait
d’avoir été démasqué.
Arrestation du gendarme Lamare
Henri Cavalier décide d’utiliser un
stratagème pour le faire revenir à la brigade sans éveiller ses soupçons.
Il prétexte une opération sur un camp de gitans pour rappeler toutes les
patrouilles.
En arrivant à la brigade, Lamare
pose son fusil mitrailleur sur les ordres de l’adjudant Cavalier qui le
ceinture au moment où il allait sortir une seconde arme dissimulée dans
son trois quart.
Interrogé toute la nuit il nie
farouchement mais il est confondu par ses empreintes qui sont identiques
à celles relevées dans les voitures volées. La brigade de Chantilly est
abasourdie et choquée par cette incroyable nouvelle.
La perquisition à son domicile est
prévue à 6 heures du matin. A l’intérieur de l’appartement ils
découvrent une multitude de preuves accablantes. Entre autres des armes,
des clés et des mégots de gitane blanche alors qu’il est non-fumeur.
A l’annonce de son arrestation vers
13 heures à la radio, une foule de badauds se masse progressivement
devant l’immeuble.
Ultime drame
La perquisition s’achève à 16
heures ce dimanche 8 avril. A la sortie de Lamare, c’est dans une quasi-émeute
qu’il est installé dans la voiture de gendarmerie. Poursuivi par les
journalistes, le véhicule roule très vite et en croisant une
fourgonnette deux jeunes en cyclomoteurs sont percutés par une voiture
de presse. L’un d’eux, Gérard Bastien, 14 ans, décède sur les lieux de
l’accident. Ce sera la dernière victime « indirecte » de Lamare.
Le soir il avoue ses crimes au juge
d’instruction mais ce seront ses seules explications. Il s’enfermera
ensuite dans le mutisme le plus complet.
Cette arrestation permet de lever
le voile sur la mystérieuse phrase de la première lettre anonyme au
sujet de Karine : « Karine me connaît mais elle ne pourra jamais faire
le rapprochement ». Il la connaissait effectivement puisqu’il l’avait
interrogée au moment de son agression et lui avait même promis d’arrêter
le coupable.
De plus les anciens collègues de
Lamare apprennent qu’ils étaient les suivants sur la liste ce qui achève
de les démoraliser.
Pas de procès
Trois ans après son arrestation et
après plusieurs expertises et contre-expertises psychiatriques
contradictoires, Alain Lamare est déclaré irresponsable de ses actes et
ne sera donc jamais jugé. Une ordonnance de non-lieu est rendue le 14
janvier 1983.